Fin Mars 2020, Boris Cyrulnik a répondu à quelques questions pour le journal Ouest-France. Ci-dessous, je vous en donne les grandes lignes, explications justes et belles idées :
OF > Le terme de « guerre », employé par Emmanuel Macron, est-il bien approprié?
BC : C’est exactement le mot qui convient, parce qu’il y a un ennemi – ce virus – qui veut notre mort. Mais l’ennemi est totalement invisible et ce n’est pas la première fois. Il y a déjà eu, dans le passé, des épidémies de peste, de choléra, ou la grippe espagnole.
> Un ennemi mal connu…
Et quand on ne comprend pas, on trouve toujours un bouc émissaire […]. Dans cette crise, les personnes du gouvernement […] sont déjà désignées comme boucs émissaires. Ils sont jugés responsables de l’épidémie parce qu’ils sont accusés, par exemple, de n’être pas intervenus assez tôt. Les Chinois également ; certains d’entre eux ayant essuyé des insultes en France. […]
> Mais il n’y a pas que des mauvaises attitudes…
Quand un malheur frappe un groupe, on assiste toujours à deux comportements opposés. D’un côté, on constate des mécanismes d’agression, de profiteurs. Et, dans le même temps, une part de la population est héroïque ou généreuse. Actuellement, on « héroïse » les soignants […].
> Qu’est-ce qui permet de se protéger des risques liés au confinement?
La confiance en soi, l’aptitude à la parole, le plaisir des ressources internes et de la vie intérieure. En effet, les personnes qui sont dotées de ces mécanismes vont les appliquer et surmonter le traumatisme. Une fois le confinement terminé, elles auront découvert une nouvelle façon de vivre.
> Quels conseils donneriez-vous?
L’action : il est nécessaire de bouger au moins une heure par jour (marche, exercice…)
L’affection : parce que c’est un tranquillisant naturel
La réflexion : qui sera encore plus nécessaire une fois l’épidémie terminée.
> Cela a déjà commencé…
Oui car on se met à recréer des liens qu’on avait perdus à cause du « sprint culturel » et au nom de la réussite individuelle, de l’argent, de la performance scolaire… Tous redécouvrons la culture physique, les déclarations d’affection, la plongée intérieure, la prière pour les croyants. On avait oublié tout ça, tellement on allait vite.
> Pensez-vous que « l’après-virus » sera différent?
Inévitablement. Après chaque catastrophe naturelle, il y a un changement dans la culture. […]
> Ce concept de « résilience » que vous avez théorisé pourra-t-il s’appliquer?
Cette crise en sera une illustration expérimentale tragique. Ceux qui avaient, avant le traumatisme, acquis des facteurs de vulnérabilité vont plonger […]. En revanche, ceux qui, avant, bénéficiaient déjà des facteurs de protection (connexion, richesse intérieure, lecture, musique, réflexion…) surmonteront ce traumatisme. Après, nous serons obligés de repenser la manière de vivre ensemble en société et alors, on sera dans la résilience. Il y aura des débats nécessaires pour remettre en place une autre hiérarchie des valeurs morales.
CONCLUSION
Le neuropsychiatre, qui a popularisé le concept de « résilience », estime que nous devrons repenser notre manière de vivre ensemble.
Qu’en pensez-vous?
Percevez-vous déjà des changements? Quelles décisions avez-vous envie de prendre?
BORIS CYRULNIK, quelques dates clés
1937 Naissance à Bordeaux
1942 Ses parents, juifs immigrés d’Europe Orientale, le confient à une pension pour lui éviter la déportation.
1944 Attrapé lors d’une rafle, il arrive à s’échapper et survit sous l’aile d’un réseau de résistants jusqu’à la Libération.
1968-1971 Internat de médecine à Marseille, en psychiatrie.
1999 Il explique ses théories sur la résilience, soit la capacité à se reconstruire après un traumatisme, dans Un merveilleux malheur.
2019 Sa dernière publication : La nuit, j’écrirai des soleils.